Les situations de catastrophes, qu'elles soient d'origine humaine ou naturelle, font perdre aux populations victimes, un pan important de leur vie. Parfois, le respect minimum que mérite la personne humaine, s'en trouve menacé. C'est pourquoi, en plus des questions de relogement et d'alimentation, les sinistrés éprouvent d'autres besoins, beaucoup plus intimes, mais tout aussi urgents : par exemple, comment poursuivre sainement leur vie sexuelle ou s'affranchir de la violence sexiste ? Constat dans des camps de réfugiés au Burkina Faso.
La vie sexuelle et reproductive ne s’arrête pas à la suite d’une situation de crise. Selon des chiffres du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), publiés dans le « Refugees daily » du 11/06/2013, en situation de crise, près d’une femme sur cinq en âge de procréer tombe enceinte. L’ONG Médecins sans frontières, pour sa part, indique, dans un article publié le 16 septembre 2014, que, dans le camp de réfugiés de Domiz, au Nord de l’Irak, 2 100 bébés naissent chaque année. Au Burkina Faso, constat dans des camps de réfugiés ou de sinistrés. Certains couples y donnent naissance à des enfants, d’autres souhaitent ne pas en avoir. Pour les femmes en âge de procréer, le besoin est parfois, de pouvoir disposer du minimum pour assurer la toilette intime. Le représentant du Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA) au «pays des Hommes intègres», Dr Mamadou Kanté, pose le diagnostic : «Il est très souvent oublié qu’au milieu des conflits et des catastrophes, les femmes ont encore besoin de soins prénataux, post-nataux et durant l’accouchement ». D’où la problématique de la santé de la reproduction en situation humanitaire.
Un droit en toute situation
C’est même une question de droit. L’article 8 de la loi portant santé de la reproduction au Burkina Faso stipule que: «… Le droit à la santé de la reproduction est un droit fondamental garanti à tout être humain, tout au long de sa vie, en toute situation et en tout lieu ». Ainsi, les personnes affectées par l’action de l’homme, les aléas climatiques et géophysiques, gardent leur droit au bien-être général. Les volets suivants sont à prendre en compte: maternité à moindre risque et planification familiale, santé sexuelle et de la reproduction des adolescents, violences sexuelles et violences basées sur le genre, prévention et traitement des IST/SIDA. Ces services, longtemps relégués au second plan, sinon occultés, lors des réponses aux situations humanitaires, s’imposent progressivement au rang des urgences. Le 1er septembre 2009, des inondations ont fait près de 150 000 sinistrés dont environ 50 000 sans-abris, dans la capitale burkinabè. Cette catastrophe naturelle a contribué à révéler au grand public, l’importance de la dimension santé de la reproduction dans la prise en charge de personnes peinées par la nature ou l’Homme. A la faveur de ce sinistre, en effet, l’UNFPA a mis à la disposition des femmes, des « kits de dignité ». Chaque kit comprend un seau, du coton hygiénique pour les femmes, des sandalettes, des pagnes, des collants et du savon pour permettre à « l’autre moitié du ciel », en situation d’urgence, de garder sa dignité. Ces kits ont été reçus avec enthousiasme, preuve qu’ils répondaient à un besoin réel des sinistrées. Plus récemment, des kits du même genre ont aidé à préserver la dignité et la santé de milliers de femmes dans la détresse. Les inondations du 23 juillet 2014 à Gourcy, dans la région du Nord, ont fait de nombreux sans-abris, dont des femmes. Sabine Doulkom fait partie des sinistrés de Niessaga, un village rattaché à la commune de Gourcy. C’est avec une triste mine qu’elle remonte les souvenirs douloureux de cette journée où sa vie a complètement basculé. « Il a plu ce jour de manière exceptionnelle (…) et l’eau a envahi nos maisons, emportant tout sur son passage : habits, plats, produits céréaliers… », relate-t-elle. Depuis lors, son mari, ses cinq enfants et elle vivent dans un camp, grâce aux dons de certains acteurs de l’humanitaire. Parmi les bienfaiteurs, il y a ceux qui offrent des services de santé sexuelle et de la reproduction. En recevant son kit de dignité, le 13 octobre 2014, Mme Doulkom a dit tout son soulagement. « Ce don va me permettre d’avoir une hygiène intime convenable », murmure-t-elle. Visiblement émue, elle traduit sa gratitude aux donateurs, tout en les invitant à toujours poursuivre leur geste humanitaire.
Des accouchements sûrs, en situation d’urgence
La santé sexuelle et reproductive en situation d’urgence va au-delà de la mise à disposition de kits. Le droit des populations à l’information et aux services complets de santé reproductive, de façon à pouvoir faire des choix libres et éclairés, doit être respecté. C’est ce qu’indique l’assistant humanitaire pour le bureau du Fonds des Nations unies pour la population au Burkina Faso, Daouda Djouma. L’afflux massif de réfugiés, à la suite de la crise malienne de 2012, a mis à l’épreuve le plein exercice de ce droit. Ainsi, les sites de Mentao, Gandefabou et de Fereirio, dans le Sahel, celui de Sagnioniogo dans la région du Centre, ont bénéficié d’actions de promotion de la santé génésique, aussi bien à l’intention des déplacés que de la population-hôte. Le besoin existait, affirme Daouda Djouma, en ce sens que la prévalence contraceptive (7%) était très basse chez les réfugiés, comparée à la moyenne nationale (15,2%). Il explique aussi que de nombreuses femmes enceintes sur ces sites n’avaient pas le réflexe d’aller dans les formations sanitaires pour les consultations prénatales ou l’accouchement. Des réalités quelque peu préoccupantes qui ont motivé des actions de l’UNFPA, à travers son agence-sœur, le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), et des ONG. Pour M. Djouma, les interventions dans des camps ont produit un changement positif de comportements. Mint Almaymoune Ana, refugiée de 27 ans, est un exemple de changement. Elle a donné naissance à son 5e enfant sur le site de Mentao, dans un centre de santé. Son garçonnet de deux mois dans ses bras, elle confie avoir accouché dans de meilleures conditions et surtout gracieusement, grâce à l’appui de l’UNFPA. « J’ai suivi scrupuleusement les consultations prénatales, comme me l’ont conseillé les agents relais communautaires ; le jour de l’accouchement, j’ai été transportée d’urgence au centre de santé par une ambulance et j’ai été prise en charge convenablement », se réjouit-elle, l’air soulagé. Mme Ana fait savoir que l’UNFPA et ses ONG partenaires font œuvre utile, dans la mesure où ils participent à émousser l’anxiété des parturientes, par leurs appuis multiformes. « Chez nous ici, tout est prioritaire et il est rassurant de savoir qu’une institution veille sur notre santé», déclare-t-elle. Son époux qui flâne à proximité avec l’oreille tendue, multiplie les hochements de tête pour marquer son adhésion aux propos de sa femme. En tant que pilier financier de la famille, il a, lui aussi, économisé, car son épouse n’a pas eu à débourser de l’argent. Mieux, le fait de savoir que celle-ci a été régulièrement suivie et a accouché sans trop de difficultés, constitue un souci en moins pour ce père de famille déjà affligé d’avoir dû tout abandonner pour fuir les affres de la guerre. Des centaines d’autres femmes ont pu conduire leur grossesse à terme, grâce aux facilités sur les différents sites de réfugiés. En effet, plus d’une douzaine de formations sanitaires du Sahel ont reçu des kits de santé reproductive, permettant la prise en charge des accouchements, des infections sexuellement transmissibles, l’offre de méthodes de planification familiale de longue durée, entre autres. Il s’agit notamment du matériel d’examen médical et des médicaments visant à prévenir la malnutrition, le paludisme et les autres menaces pour la santé de la mère. Aussi, des dizaines d’agents de santé ont été formés sur le dispositif minimum d’urgence en santé sexuelle et de la reproduction, afin de leur permettre d’offrir aux femmes des soins de qualité durant toutes les phases de la grossesse et de l’accouchement. De même, des pairs éducateurs ont été mobilisés et outillés pour le suivi des consultations prénatales, la réalisation d’activités de sensibilisation.
Haro sur les violences basées sur le genre
Outre les problèmes de santé sexuelle et de la reproduction, des Violences basées sur le genre (VBG) font vivre l’enfer à certaines réfugiées ou sinistrées. Ces violences ont pour noms, viols, mutilations génitales féminines, trafics, agressions physiques, mariages forcés et précoces, déni de ressources, violences psychologiques/affectives. Au camp de Mentao, situé à 5km au sud de Djibo, province du Soum, à plus de 200 km de la capitale, l’UNFPA travaille avec l’association « Développement-Paix et secours sans frontière (DPSSF)», spécialisée dans l’assistance aux victimes de la pauvreté et des catastrophes. L’association a recruté et formé 10 Agents relais communautaires (ARC) qui font de la sensibilisation et servent d’alerte contre les VBG dans les 6 quartiers du site : Mentao-Centre, Centre-Sud, Sud, Sud-Sud, Nord et Est. Daï Ould Ali est l’un des agents relais à Mentao-Centre, depuis plus d’une année et demie. Il précise que des VBG qui sévissent dans sa zone, le mariage précoce prédomine. Situation qu’il explique par le poids encore très pesant de la tradition. Il arrivait que des filles de 12 à 13 ans soient mariées sans que cela n’émeuve, révèle-t-il. Mais avec la sensibilisation, notamment les causeries éducatives, les théâtres-fora, les projections vidéos, le jeune animateur communautaire affirme qu’il y a un changement de mentalités. Pour nous en convaincre, il nous permet d’assister à une causerie avec une douzaine de femmes de différents générations et groupes ethniques du site : arabe, tamachek, peulh, sonraï, etc. Daï Ould Ali fait vite de signaler que, par moments, les causeries sont mixtes, impliquant des hommes et des femmes. Le rassemblement du jour, principalement féminin, se fait sous la tente d’un particulier. Au menu des échanges, le mariage précoce et ses conséquences fâcheuses. L’animateur, à l’aide d’une boîte à images, introduit le débat. Sans protocole, ces femmes, a priori timides, se lâchent. C’est la preuve que ce sujet, jadis tabou, ne l’est plus, du fait de la sensibilisation, s’en vante M. Ali. Une septuagénaire dénonce ce qu’elle qualifie de pratique «avilissante et dangereuse» pour la santé, l’épanouissement et l’avenir de la petite fille. Le langage gestuel et mimique qui accompagne ses mots, laisse transparaître une certaine rage contre cette pratique qu’elle dit avoir subie à son adolescence. Le mariage précoce, dans le contexte burkinabè, est celui contracté avant l’âge légal de mariage fixé à 17 ans pour la fille, considérant les dispositions du code des personnes et de la famille.
Une prise en charge holistique
De l’avis des spécialistes de la santé, des travailleurs sociaux ou des psychologues, cette union intervient à un moment où la fille n’est pas physiquement, physiologiquement et psychologiquement prête à assumer les responsabilités du mariage et de la reproduction. Ils ajoutent que les adolescentes qui en sont victimes, se retrouvent précocement enceintes, et passent souvent une maternité très difficile, à cause de leur immaturité physique.
Les autres catégories de VBG se signalent aussi sur le site (voir encadrés 2 et 3). Pour les cas avérés, les agents de terrain de DPSSF procèdent à une prise en charge holistique : sanitaire, psychosociale, si nécessaire. Une instance dénommée « conférence de cas » où tous les partenaires impliqués dans la gestion des VBG interviennent, statue sur la suite à donner au problème de la survivante. Dans les situations de violences sexuelles ou physiques, assorties de blessures, la victime est référée aux agents de santé pour des soins appropriés, explique le chef d’antenne de DPSSF/Djibo, Adama Kouraogo. Pour les cas de traumatisme psychologique ou de violences psycho-affectives, une spécialiste a été recrutée afin d’aider les victimes à surmonter leur traumatisme. «Notre rôle consiste à écouter les survivantes et survivants qui ont besoin d’une prise en charge psycho-sociale. En retour, nous essayons de leur apporter un soutien psychologique. J’ai eu à gérer plusieurs cas », développe Juliette Kaboré, psychologue à DPSSF.
Ces actions humanitaires apportent du réconfort aux populations sinistrées et/ou déplacées. C’est ce qui ressort des témoignages de bénéficiaires et des hommes de terrain. Le partenaire-clé, l’UNHCR, n’en est pas moins satisfait.
Pour le chargé de la section santé de son bureau au Burkina, Dr Benoît Mukendi Kayembé, la dynamique amorcée doit se poursuivre, en s’améliorant. « Nous espérons que l’UNFPA va maintenir, voire renforcer son appui (…) dans le domaine… », ajoute-t-il. Du côté de l’UNFPA, le représentant, Dr Mamadou Kanté, se dit conscient de la nécessité de continuer l’assistance en matière de santé sexuelle et de la reproduction dans les situations humanitaires. Mais, il fait savoir que la mobilisation des ressources à cet effet n’est pas toujours aisée. Par exemple, Dr Kanté confie que «plus de 75% des financements injectés dans le travail humanitaire par l’UNFPA (700 000 USD entre 2008 et 2014, soit 350 millions de F CFA) sont des ressources internes du programme régulier». Pour autant, l’agence onusienne n’entend pas abréger son expérience d’intervention en situations d’urgence. « Dans les années à venir, nous travaillerons à une meilleure consolidation de nos acquis dans le cadre de l’humanitaire», promet Dr Kanté.
Koumia Alassane Karama
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Encadré 1
Des acquis humanitaires de l’UNFPA/Burkina
- Formation de 175 personnes-ressources à la mise en œuvre de la SSR en situation de crise;
- assistance de plus de 3575 femmes enceintes pour l’aide à un accouchement sûr dans les situations d’urgence;
- appui financier et matériel à 5 ONG nationales et internationales dans la mise en œuvre de services de SR à base communautaire en situations humanitaires;
- sensibilisation de plus de 100 000 personnes à la santé génésique en situation humanitaire;
- mise en place d’un groupe de travail sur la SR en situation humanitaire;
- renforcement des capacités de 150 personnes dans la prévention et la réponse aux VBG;
- développement de Procédures opérationnelles standards (POS) pour la prévention et la prise en charge médicale, psychosociale et juridique des cas de VBG;
- sensibilisation régulière de plus de 50 000 personnes sur les VBG;
- distribution de plus de 50 000 kits de dignité aux femmes et filles en situation humanitaire;
- mise en place et coordination du groupe de travail sur les VBG en situation humanitaire;
- élaboration d’un plan d’action humanitaire et d’un plan de contingence pour renforcer la réactivité en situation humanitaire.
(Source, Dr Mamadou Kanté,
représentant UNFPA/Burkina Faso)
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Encadré 2
Quand le foyer se mue en ring dans un camp de réfugiés!
La violence physique, doublée d’un traumatisme psycho-affectif, c’est le préjudice subi par une jeune-mère réfugiée de 19 ans. Nous l’appellerons F.K. pour garantir son anonymat. Son calvaire commence 3 ans plus tôt (à 16 ans) lorsqu’elle accepte d’épouser son homme, lui aussi réfugié malien, dans une localité frontalière du Burkina Faso avec leur pays d’origine. Elle raconte que très vite, le prétendant « doux et attentionné» a fait place à un mari violent, possessif et très jaloux. Le couple aménage entre temps dans l’un des quartiers du camp de Mentao, les coups et blessures avec. « Depuis les trois ans que nous sommes ensemble, il me frappe souvent », nous fait savoir dame F.K. Les raisons de ces bastonnades à n’en point finir, peuvent être des plus farfelues. Tenez, la dernière en date, rapporte la victime, est liée à son opposition catégorique au désir de monsieur de vendre un seau que le couple venait de recevoir d’une ONG de la place. Son « niet » est perçu par son cher époux comme un affront. « Il n’en fallait pas plus pour m’injurier et me rouer de coups. Il a même tenté de m’étrangler. Je croyais mon supplice fini, mais hélas. La nuit encore, alors que j’étais au lit, il m’a réveillée avec un fil électrique, lézardant mon corps de blessures (Ndlr : elle nous montre des traces sur son bras, indiquant qu’il y en a davantage sur le reste de son corps) », témoigne-t-elle. F.K. poursuit que ces coups de trop l’ont contrainte à déposer une plainte à la police et à quitter son foyer pour se réfugier chez sa mère, aussi réfugiée sur le site. « Si j’y retourne (dans le foyer), il va me tuer un jour », lance-t-elle. Les assistants sociaux et la psychologue de l’association « Développement-Paix et secours sans frontière » se sont autosaisis du cas. En plus de rechercher des voies et moyens pour un dénouement heureux à cette vie de couple devenue infernale pour l’épouse, la psychologue a assuré une prise en charge psycho-sociale à la survivante. « Elle avait tellement peur qu’elle n’osait plus mettre le nez dehors », confie Mme Juliette Kaboré. Elle poursuit : « Nous l’avons aidée à extérioriser ses sentiments et ses perceptions intérieurs. Ce qui lui a permis de se défaire de son traumatisme, de se stabiliser et de reprendre à vivre ». Et ce n’est pas un cas isolé…
K.A.K.
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Encadré 3
Le déni de ressources
Le déni de ressources est la privation d’une personne de moyens ou de biens essentiels à son existence. Il est inscrit sur le tableau sombre des violences basées sur le genre. Et ce n’est pas par effet de mode. S.M., réfugiée au foyer dans le camp de Mentao, le vit depuis quelques mois. En effet, son mari la sèvre de nourriture au profit de sa maîtresse, vivant également sur le site. Tout ce que le couple reçoit des donateurs, est systématiquement transféré, au grand dam de l’épouse légitime, au « deuxième bureau ». S.M. est désemparée et espère vivement le retour de l’époux à la raison, le cas échéant, un appui pour mener des activités génératrices de revenus, en vue de s’offrir une certaine indépendance financière. En attendant, les agents de terrain de DPSSF appuyés par l’UNFPA s’investissent pour essayer de recoller les morceaux de ce couple au bord de la rupture.