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Pourquoi et comment devient-on expert-chirurgien en fistules obstétricales (FO) ? Entre deux consultations, Dr Guiro, administrateur de projet recruté sur le plan national pour l'UNFPA et chirurgien spécialisé dans les fistules obstétricales, raconte son parcours, sa lutte contre ce fléau et l'avancée des techniques pour les opérations. Rencontre au Centre Schiphra, à Ouagadougou.

Vous ne savez pas encore ce qu'est la fistule obstétricale ?
Vous trouverez un article détaillé ici sur le sujet.

 

Doline Charmillot : Pourquoi avoir décidé de devenir spécialiste de la fistule obstétricale ?

Dr Moussa Guiro : C'est une longue histoire... J'étais médecin généraliste dans un centre médical en zone rurale loin de la capitale. A l'époque beaucoup de femmes se présentaient avec des fistules obstétricales et il n'y avait pas assez de personnes compétentes pour traiter ce genre de cas. Au début des années 90, seuls quelques rares chirurgiens nationaux savaient comment opérer les fistules, et quelques médecins occidentaux qui prenaient sur leur temps de vacances pour venir en aide à ses femmes. La problématique a commencé à m'intéresser. J'ai continué ma formation à Abidjan, en Côte d'Ivoire où j'ai pu effectuer un stage dans un service de chirurgie qui soignait ces femmes.
Par la suite, j'ai été affecté à Fada n'Gourma, à l'est du Burkina Faso où il y avait beaucoup de patientes souffrant de fistules obstétricales. Elles venaient, avec leurs maigres économies, pour savoir si on pouvait les guérir. Aucune aide, aucun soutien n'était encore mis en place, au niveau national, à cette époque. En tant que chirurgien, on était confronté à plusieurs difficultés. C'était une nouvelle activité, les femmes n'avaient pas les moyens de payer les soins et la prise en charge n'était pas structurée au niveau national. C'était bien souvent à nous, personnel médical, de prendre en charge les frais de traitement.

A Fada, on envoyait les femmes se faire soigner au Bénin pendant des « campagnes ». Pendant une dizaine de jours, deux chirurgiens sont présents, avec un auxiliaire et peuvent opérer entre 30 et 40 femmes. J'ai eu la chance de pouvoir être chirurgien sur plusieurs campagnes.

Pour se spécialiser dans le traitement des fistules, il faut expérimenter un maximum de cas différents. La théorie est utile, mais la pratique est vitale. J'ai poursuivi mes activités au Niger dans un projet de lutte contre la mortalité maternelle. Au fur et à mesure que je me perfectionnais, les techniques se développaient, les fonds arrivaient. Et en 2008, j'ai postulé pour faire partie du projet fistule leader par l'UNFPA à Dori. Aujourd'hui, je m'occupe de former le personnel médical dans différents centres, comme Schiphra, Paul VI, Nanoro...

 

Vous vous êtes donc spécialisé en quelque sorte au bon moment ?

Effectivement mes maitres que j'ai assisté ont dû, eux, se battre presque seuls durant des années pour réunir les moyens afin de prendre en charge chaque femme victime de fistule. Ce n'est qu'en 2003, lorsque le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) a lancé la campagne mondiale de lutte contre les fistules, que notre travail et cette maladie ont commencé à être reconnus.

 

95% des patientes peuvent être guéries. Quelles sont les solutions pour les 5% restant ?

Pour toutes les patientes, il y a toujours une solution adaptée à leur cas. Pour certaines, nous proposons un traitement palliatif telles que les dérivations des urines vers d'autres organes ou vers une poche d'urine externe. Les femmes acceptent généralement, sans prendre en compte les difficultés de tels procédés qui nécessitent un suivi rigoureux. Elles veulent être guéries. Elles ne comprennent pas pourquoi l'opération, pour elles, ne réussit pas comme pour leur voisine, sans complication. Moralement, c'est très dur de ne pas s'impliquer émotionnellement face à ces patientes lorsque l'on connaît leur condition de vie, souvent exclues de leur contexte social. Vous savez, on oublie les 95% de réussite, ce sont seulement les quelques cas d'échec qui nous hantent.

 

Certaines malades disent s'être fait opérer dans les années 80 au Burkina Faso. Les techniques ont-elles évolué ?

En France, le dernier cas de fistule obstétricale a été opéré en 1957. Depuis lors, le phénomène a presque disparu du monde occidental mais pas dans les pays où l'accès aux soins de santé reste rudimentaire. Les cas ont continué à être soigné, les connaissances ont évolué sur plusieurs points en parallèle. En premier lieu, le diagnostique est nettement plus précis. Aujourd'hui, nous avons mis en place une codification des lésions. Un maximum de paramètres est récolté afin d'être très précis dans la description des lésions. Il faut prendre en compte la position de la fistule, le nombre de fistules, la qualité du tissu, la position par rapport aux autres organes pour ne pas les léser pendant l'opération, etc. Tout est codifié.

La deuxième grande évolution est la qualité de la suture. Le type d'aiguille, le fil, la précision des gestes qu'il faut réaliser pour reconstituer les tissus lésés, etc.

Au début, l'anesthésie générale était la plus utilisée. Aujourd'hui, l'anesthésie est locorégionale, c'est-à-dire que la partie basse du corps seulement est anesthésiée. Cela a rendu l'opération nettement moins lourde. Une autre évolution est la possibilité de la position en déclive de la patiente pendant l'opération qui est favorisée par des tables d'opérations spécialement conçues pour ce type d'intervention. L'avancée des connaissances a démontré que les produits anesthésiques ne risquaient pas de "remonter à la tête" de la patiente dans cette position.

Depuis 2003, il y a vraiment une mobilisation autour de cette question de la part de l'Etat, d'associations impliquées, de l'UNFPA. Les moyens matériels, financiers, les capacités en personnel facilitent énormément le travail et permettent une meilleure prise en charge des femmes victimes de fistule obstétricale.
Mais ce qui a surtout permis à beaucoup de femmes de retrouver leur dignité, ce sont les mentalités. Grâce aux campagnes de prévention, à la sensibilisation, il est de plus en plus rare de voir ces femmes honteusement cachées. Elles osent de plus en plus en parler et, souvent, une personne de son entourage saura la guider pour se faire soigner.

 

Doline Charmillot  - unité de communication, UNFPA - Burkina Faso

Interview de Dr. Moussa GUIRO sur le faso.net (18.11.2013)